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Le puçage électronique des troupeaux

Emission du 14 mai 2011 / Catégories : Science, Elevage

Description

Reportage avec Gérard Pages, Sébastien Delpeche, Anna Labrousse et Babette Védoit, éleveurs opposés aux puces RFID ; Aurélien Berlan, Michaela di Carlo et Célia Izoard, du groupe « Faut pas pucer ».

Invités

  • Gérard Pages, Sébastien Delpeche, Anna Labrousse et Babette Védoit, éleveurs opposés aux puces RFID
  • Aurélien Berlan, Michaela di Carlo et Célia Izoard, du groupe « Faut pas pucer »

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Transcription

Ruth Stégassy : Terre à terre, le magazine de l’environnement, ce matin, faut pas pucer ! Gérard Pages, vous êtes agriculteur, éleveur. Dans quelle réalité vivez-vous ?

Gérard Pages : La réalité, il y en a plusieurs. Il y a une réalité : ce qui nous semble être ce qu’on voit. Et puis il y a aussi la réalité administrative. C’est semble-t’il, celle qui fait autorité, mais qui n’est pas réelle. Donc quand on déclare les surfaces à la PAC, on doit sur une photo aérienne, dessiner les parcelles, et désigner à l’intérieur ce qu’il y a comme cultures. Et donc évidemment, on est subventionné en fonction des surfaces de tels végétaux, du blé, de ceci, de cela. Et les surfaces des photos aériennes, ne sont pas les mêmes que les surfaces du cadastre. Et la déclaration, avant, se faisait sur le cadastre. Quand le contrôleur vient, il va au bord des parcelles avec son GPS, et les surfaces ne sont pas les mêmes que les photos aériennes, et à plus forte raison, celles du cadastre. Et dernièrement, les systèmes de projection ont changé. L’échelle et le calcul font que les surfaces sont encore différentes. Donc ma réalité du champ que je vois dessous là, elle est un peu semblable, un peu toujours pareille. Par contre, la réalité de la grandeur de cette parcelle, au niveau administratif, sans cesse varie. Et cette réalité-là, c’est elle qui commande. C’est dur, parce que ce sont eux qui ont raison. C’est quand même le règne de l’arbitraire.

Ruth Stégassy : Et dans ce règne de l’arbitraire, est arrivée enfin l’arme ultime, celle qui va permettre de tout remettre en place : la puce RFID (puce électronique).

Gérard Pages : Oui, je ne sais pas si c’est l’arme ultime ; mais en tout cas, c’est celle qui nous fait pousser des boutons. La puce RFID a été soumise, accompagnée, peut-être même proposée dans un but d’avoir une certaine reconnaissance par la profession. Alors la profession, elle est diverse : il y a des élevages très gros, et puis il y a des élevages plus petits évidemment. Et la représentation de la profession, elle est faite par les gros élevages. Parce que la production d’ovins viande est sinistrée – c’est peut-être une des plus sinistrées depuis longtemps -, donc la profession est à la recherche d’une peau un peu neuve. Et elle a accompagné cette réforme d’identification, avec maintenant la pause de puces électroniques, dans un but d’une certaine reconnaissance. Peut-être faire en sorte que la production aille mieux, qu’elle soit mieux reconnue par les pouvoirs publics, ou par les marchés. Parce qu’ils font des efforts, notamment en termes d’identification.

Ruth Stégassy : Et vous, vous avez créé le collectif Faut pas pucer, Sébastien Delpeche ?

Sébastien Delpeche : Ce collectif Faut pas pucer, dès le début, il a existé en dehors des syndicats agricoles, et de toute autre organisation agricole. En plus, il ne regroupe pas que des éleveurs. Pourquoi ? Parce que les quelques éleveurs du groupe, de toute façon, ne se reconnaissent pas dans cette profession, ni dans les syndicats qui y sont présents.

 intermède musical -

Ruth Stégassy : Comment est né ce collectif, Faut pas pucer, Michaela di Carlo ?

Michaela di Carlo : Le collectif est né au moment où il y a de la tension portée par les éleveurs sur la question de la vaccination contre la fièvre catarrhale. Et ça a été un peu un moment fédérateur pour nous, parce qu’on a commencé à discuter de cette obligation. Parmi nous, il y avait des gens qui s’étaient déjà posé la question du puçage des animaux, qui allait devenir obligatoire pour les ovins et pour les caprins. Et c’est à l’occasion de discussions sur la vaccination qu’on a commencé à amener aussi le problème du puçage, en disant qu’il y avait un lien entre ces deux moments. Et notamment le fait de la dépossession du métier, des choix à faire, d’une relation avec l’animal qui se déplaçait, qui était gérée par en haut, par quelqu’un d’autre. Et donc, à ce moment-là, on était des éleveurs, et des gens qui n’étaient pas du tout éleveurs. Quand la tension sur la question de la vaccination a commencé à fléchir, le groupe s’est complètement recomposé et refaçonné, autour de la question du puçage principalement.

 intermède musical -

Ruth Stégassy : Vous vous êtes installée depuis longtemps, Anna Labrousse ?

Anna Labrousse : Moi, je me suis installée en 1991, et j’ai des brebis depuis... je ne sais plus... 1997.

Ruth Stégassy : Vous aviez choisi les brebis ?

Anna Labrousse : Oui, c’est surtout l’élevage en fait, des brebis, des vaches... C’est l’élevage que j’aime bien, le contact avec les bêtes, vivre au milieu des bêtes. C’est cela qui donne du sens un peu, pour moi.

Ruth Stégassy : Et qu’est-ce qui fait que vous vous êtes ralliée à ce collectif, Faut pas pucer ?

Anna Labrousse : En fait, moi mes brebis, à un moment donné, il a fallu les identifier. Et jusqu’à présent, on mettait des boucles avec des numéros. Et là d’un seul coup, on apprend qu’il faut mettre des puces, en plus des boucles donc électroniques. Pour moi, ce n’est pas du tout la même chose : les boucles électroniques, c’est vraiment le stade supérieur, où d’un seul coup, on a l’impression que nos brebis deviennent des machines.

Ruth Stégassy : Comment est-ce qu’elles deviennent des machines ?

Anna Labrousse : Et bien forcément, il y a quelque chose entre elles et nous : il y a cette puce qui vient faire écran. On ne peut pas avoir le même rapport qu’avant. C’est comme quand on est devant un écran télé, devant un écran informatique. On n’a plus un rapport direct avec la personne qu’on a en face, ou avec la bête qu’on a en face. Il y a quelque chose qui nous renvoie indirectement... voilà, le rapport est changé, il n’est plus direct, il ne passe plus par de la sensibilité. Il y a forcément un numéro enregistré quelque part, qui va nous être renvoyé parce que c’est une bête qui a mis bas à telle époque, ou qui a tel âge. Tout un tas de données sont enregistrées après avec ce numéro. Peut-être qu’au départ, ce sera juste une puce comme ça. Mais forcément à l’avenir, ça va devenir une banque de données. Et donc, après on commence à trier les bêtes par rapport à cette banque de données. Voilà, on ne les regarde plus pareil ; et carrément on ne les regarde plus même, je pense. Au bout d’un moment, tout ce qui nous servait pour reconnaître les bêtes, les petits signes : on les reconnaissait soit à des taches, soit à leurs allures, soit à leur laine, à leur comportement. C’est tout ça qui est intéressant dans l’élevage, et qui fait qu’on est proche des bêtes, et qu’on arrive à bien les élever. Et nous aussi, à avoir une vie plutôt sympathique. Tout ça pour moi, avec la puce électronique, ça change. Ça va être effacé. On va être de moins en moins amené à s’en servir, parce qu’on a un numéro, parce qu’on a un appareil qu’on va pouvoir brancher, et ça nous dira que cette bête elle est née telle année, elle a fait tant d’agneaux, elle a eu telle maladie. Voilà, et une fois que ça c’est ouvert, bien sûr on s’en sert. Donc pour moi, c’est vraiment un passage à ne pas franchir. C’est important, parce que j’ai l’impression que je vais perdre tout un savoir-faire.

Ruth Stégassy : Sébastien Delpeche, quand est-ce que vous avez entendu parler de pucer vos brebis la première fois ?

Sébastien Delpeche : oui, ça devait être en 2005-2006. A l’époque, c’était prévu pour 2008. Et en fait, ça a été reporté une ou deux fois. Et donc c’est en place là depuis juillet 2010. Pour les agneaux et pour les brebis, on a deux ans pour le faire : c’est-à-dire remplacer l’identification qui existe déjà, les boucles en plastique, par des boucles avec une puce électronique dedans.

Ruth Stégassy : Gérard Pages ?

Gérard Pages : Les règlementations sont de plus en plus strictes, et de plus en plus systématiques. Tout ce qui est contrôle de la Politique Agricole Commune, maintenant se fait avec ce que l’on appelle la PAC Graphique : ce sont des photos aériennes. On peut compter les piquets, les clôtures, on peut voir les animaux sur les photos. Donc tout est de plus en plus resserré, on va dire. Et c’est ça qui permet d’avoir les aides, enfin en tout cas toutes les aides qui touchent la surface. Après, il y a des aides liées aux animaux, au nombre d’animaux, que ce soit dans l’élevage de brebis viande, dans l’élevage de vaches à viande. Dans la culture de céréales, les aides PAC représentent entre 140 et 150% du revenu. C’est-à-dire qu’elles couvrent le revenu, plus une part des charges. L’idée, c’était que l’alimentation soit une arme au niveau exportations. Donc je crois que ce sont les USA qui ont innové, malgré leurs discours libéraux. Ils protègent énormément leur agriculture. Comme ça, on arrive sur le marché mondial, avec des produits qui sont capables de rivaliser avec la production locale de n’importe quel pays, notamment en Afrique. C’est une bonne manière de désorganiser l’agriculture locale. Et après pour rattraper au niveau du revenu, on aide les paysans de manière directe.

En gros, le prix de l’agneau n’a pas augmenté en argent constant depuis 35 ans. Donc cela veut dire qu’il a été divisé entre 2 et 3, en argent constant. Entre temps, il y a énormément de gens qui ont arrêté. Mais, le peu qui reste, y compris des systèmes autonomes, en vente directe, où il y a peu d’investissements, sont complètement dépendants des aides, ce qui n’est pas original. La société moderne est une société de dépendance. Ainsi le système d’aides et de dépendance est systématique pour l’agriculture. Après, on a vu des choses plus au coup par coup : par exemple, les sommes énormes qui ont été investies dans des banques pour les aider après la crise économique. On sait qu’il y a des aides énormes pour l’exportation, notamment au travers de systèmes comme la Coface et compagnie. On est dans une société d’assistanat généralisé, quoi !

Ruth Stégassy : Donc, dans cette société d’assistanat, vous, Gérard Pages, et vous, Sébastien Delpeche, vous avez néanmoins choisi de poursuivre votre activité d’élevage. Une activité telle que vous la décriviez à l’instant, c’est-à-dire une activité où vous êtes le plus autonome possible, où vous faites de la vente directe, où vous ne dépendez pas d’une alimentation industrielle... Et pourtant, aujourd’hui, ce qui vous fait caler, ce qui vous fait tressaillir, c’est cette puce électronique qu’on veut vous faire poser sur l’oreille de chacun des agneaux qui viennent de naître. Sébastien Delpeche ?

Sébastien Delpeche : C’est-à-dire qu’il ne faut pas regarder cette histoire de puce de manière isolée, il faut le relier au reste. Le sentiment, c’est que là où on pensait trouver un peu de liberté, un peu d’autonomie – et c’était vrai jusqu’à aujourd’hui -, on pense que ça va être de plus en plus compliqué.

Ruth Stégassy : Malgré ce système que vous avez décrit, qui est déjà extrêmement pesant, ce système d’assistanat comme vous l’appelez, il y avait encore des espaces d’autonomie et de liberté ?

Sébastien Delpeche : Oui. On n’est pas surveillé tous les jours. On organise notre journée comme on l’entend. Et puis, on joue encore aujourd’hui sur la différence entre la réalité de tous les jours et les papiers. On ne peut pas tout décrire dans des cases. Et donc jusqu’à aujourd’hui, on joue là-dessus.

Ruth Stégassy : Ce qui ne signifie pas pour autant que vous soyez des fraudeurs. La question, ce n’est pas celle de la fraude, Gérard Pages ?

Gérard Pages : De toute manière, le chômeur qui va à Pôle Emploi, d’entrée c’est de sa faute s’il n’a pas de travail. Le rapport à l’administration aujourd’hui, c’est un rapport forcément de suspicion. Et nous, on ne fait pas exception à ça. C’est vrai que cette histoire de liberté, ça peut paraître curieux, pour des gens qui ne sont pas dans l’agriculture. Parce qu’il faut s’occuper des animaux, le matin, le soir. Et puis il y a des fois des morts, il y a des malades. C’est toujours un peu en lien avec des choses difficiles, compliquées. Mais c’est quand même un endroit, un espace de liberté énorme. S’occuper d’animaux, c’est un monde, c’est une immensité. L’autre jour, je suis allé chercher les brebis pour les tondre. Voilà, je ne sais pas ce qu’elles avaient, elles étaient dingues comme si elles étaient contentes de savoir ce qui allait leur arriver, qu’elles allaient être débarrassées d’une toison, et du coup, ben voilà, avec le soleil qui arrive... ça c’est des choses, tu regardes, tu l’apprécies. Voilà. C’est quelque chose qui te nourrit, sur lequel tu ne peux pas mettre de mot, et peut-être heureusement. C’est ça qu’on vit nous, c’est cette espèce de monde.

Et la puce électronique n’est pas un nouveau système d’identification. C’est une intrusion de la machine, de l’imaginaire de la machine, dans les animaux, dans notre vie. Tout d’un coup, il y a une espèce de truc d’acier qui est énorme – tout petit, mais énorme - ; une espèce de chose froide qui rentre dans notre quotidien, et qui nous sépare des animaux. Ça devient inacceptable, ces tendances, qui sont très proches de l’industrie sur les histoires de process, et les mêmes démarches que les démarches ISO... Quand on est tous les jours avec des êtres vivants, c’est un malaise que l’on peut trouver assez proche avec les gens qui travaillent dans la santé, dans le social. On ne peut pas le modéliser tout ça, enfin si, dans les administrations c’est modélisé bien sûr, mais ce n’est pas humain.

Ruth Stégassy : Sébastien Delpeche ?

Sébastien Delpeche : Peut-être qu’avec les bêtes, ça nous touche un peu trop. Peut-être qu’on peut mieux l’expliquer, l’illustrer, avec ces histoires de mesures agri-environnementales par exemple. Dans les régions comme ici, qui ont été un peu épargnées par l’agriculture industrielle, il y a des "aides" qui nous sont données, en contrepartie de cahiers des charges agri-environnementaux, où on nous dit tout ce qu’on doit faire : où est-ce qu’on doit mettre les brebis, à quelle saison, quel nombre de brebis sur quel nombre d’hectares. On nous impose un calendrier de pâturage. Et dans la logique du process industriel, on doit tout noter : les dates, le nombre de brebis. C’est pour nous quelque chose de très humiliant, de devoir en permanence noter ce que l’on fait, et se justifier, et être d’entrée de jeu suspect lors d’un contrôle, puisque évidemment c’est moyennant des aides. En fait, tous nos gestes, de plus en plus, sont modélisés à l’avance et donc sont contrôlables, et contrôlés.

 intermède musical -

Ruth Stégassy : Michaela di Carlo ?

Michaela di Carlo : La question nous est venue : qu’est-ce qui se passe ? Est ce que, ce que l’on est en train de nous dire, c’est que nous, on ne peut plus choisir et évaluer les risques de notre métier, et ce que l’on veut faire là-dedans. Et n’est-ce pas une des parties les plus importantes du travail qui disparaît comme ça ? Si à chaque fois qu’il y a un problème, il faut qu’il y ait quelqu’un d’en haut qui décide la solution, qui est la même pour tout le monde. Et c’est par ce biais-là qu’on a fait le lien, en se disant : mais dans d’autres situations au travail, c’est exactement ce qui se passe. On va dire comment il faut enseigner, comment il faut résoudre les cas difficiles qui sont eux déjà bien établis. Et donc, le plus intéressant du travail, il s’en va : parce que le plus intéressant du travail c’est de décider quoi faire.

Ruth Stégassy : Aurélien Berlan ?

Aurélien Berlan : En quelque sorte aussi, on s’est rendu compte à cette occasion à quel point, notamment compte tenu des réactions qu’il y avait par rapport à cette question, les paysans, qui avaient longtemps été l’image d’une profession qui était vraiment à l’opposé de la fonction publique par exemple – les paysans, c’était des gens indépendants, non salariés, qui vivent d’eux-mêmes, etc -, n’existent plus : il n’y a plus de paysans, il n’y a plus que des agriculteurs, et ces agriculteurs sont quasiment des fonctionnaires de l’Etat. C’est-à-dire qu’ils sont obligés d’appliquer des mesures sanitaires, même complètement absurdes. Ils se retrouvent en position d’exécutants de l’Etat. Il y a eu un moment très chouette dans une discussion publique, où quelqu’un qui écoutait ce que l’on avait à dire sur la FCO, a dit à un moment donné : mais qui est-ce qui les possède, les brebis, en fin de compte ? Et en effet, quand on voit ce type d’obligations, on peut se demander si le véritable propriétaire des brebis, ce n’est pas l’Etat, qui concède la garde des brebis à des fonctionnaires qui sont des paysans payés sous forme de primes.

C’est un problème aujourd’hui, parce que les gens qui sont arrivés dans le métier dans les années 1970-80, c’était souvent aussi par envie d’entrer dans un monde moins normé, pour notamment ne pas devenir salarié ou fonctionnaire. Et ils se retrouvent dans une situation où ils ne peuvent plus exercer leur métier tel qu’ils l’entendent.

Ruth Stégassy : Je suis assez frappée par le vocabulaire que vous employez les uns et les autres. Vous parlez, Aurélien Berlan, de fonctionnaires, des éleveurs ont beaucoup parlé de système industriel. Il me semble que ni l’un ni l’autre de ces mots ne rendent exactement compte de la situation. Ce n’est pas un reproche que je vous fais, mais je trouve difficile de trouver le mot exact qui définirait ce que vous êtes en train de souligner, les uns et les autres : ce rapport au travail, qui est général, qui n’est pas seulement celui des agriculteurs, et qui est plus, me semble-t-il, du côté d’une forme bureaucratique tatillonne et paperassière, enfin voilà, je ne trouve pas plus les mots...

Aurélien Berlan : Je pense quand même, qu’en effet, par exemple l’introduction des puces dans les boucles des brebis, ça transformera assez vite une bergerie en une usine à viande, à lait, à fromage, gérée par ordinateur, comme n’importe quelle entreprise actuelle. Et là, il y a quelque chose qui va dans le sens industriel. Après pour le travail, je sais que le mot industrie, avant d’avoir signifié le zèle, l’application au travail, le côté industrieux des gens qui travaillent, ça désignait au moyen-âge dans la langue des moines, le travail mortifère. Pour les moines, au moyen-âge, il y avait l’idée qu’il fallait tout faire pour la plus grande gloire de Dieu. Et donc cela impliquait de ne pas prendre de plaisir ici-bas. Il fallait être dans une vie de mortification. Donc on se coupait du monde, on vivait dans des monastères, on se soumettait à un règlement très tatillon. Et on travaillait non pas pour accumuler de l’argent, pour y prendre du plaisir, ou pour gagner des sous pour en faire du plaisir, non pas du tout. Et pire, il ne fallait même pas prendre de plaisir en travaillant. Tout le côté travail communautaire paysan, avec des gens qui chantent, des chansons pour accompagner les mouvements, etc, tout ça disparaissait dans les monastères. Il fallait que le moment du travail soit un moment de mortification, comme n’importe quel autre. La mortification de la créature face à Dieu. Donc pour nommer ce travail mortifère, les moines ont construit le concept d’industrie.

Ruth Stégassy : Et de fait, s’il reste encore du plaisir chez les petits éleveurs, il a énormément disparu du monde du travail. Et les chansons que vous évoquiez, ont disparu dans les 40 dernières années, complètement du monde du travail, alors qu’elles existaient encore au milieu du 20ème siècle. Je ne pense pas non plus que ça ait été remplacé par de la souffrance, curieusement, mais plus par une sorte d’anesthésie générale. Michaela di Carlo ?

Michaela di Carlo : C’est sans doute vrai que c’est avant tout une sorte d’anesthésie générale. Mais après, c’est toujours un terrain glissant : est-ce qu’il y a de la souffrance ou pas ? La souffrance c’est quelque chose de très personnel. Elle ne s’exprime pas forcément physiquement. Il y a peut-être beaucoup de souffrance psychique, qui prend peut-être différentes formes. On ne peut pas dire effectivement, et c’est bien cela le problème, que cette souffrance psychique vient de la manière dont on travaille. Mais on peut aussi le penser, et ce n’est pas insensé de le penser : qu’il y a moins de satisfaction personnelle, et de ce point de vue-là, peut-être, une perte de sens. Et ça c’est de la souffrance pour un individu.

 intermède musical -

Ruth Stégassy : Babette Védoit, vous avez des vaches. Qu’est-ce qui vous a fait rejoindre ce collectif, Faut pas pucer ?

Babette Védoit : Je ne sais pas trop. Ça s’est fait forcément comme toujours un peu par hasard. J’ai des vaches, et j’avais commencé à refuser la vaccination obligatoire pour la FCO. Si on fait un pas de côté, on s’aperçoit, on regarde le système, et on... enfin moi c’est comme ça que je l’ai vécu en tout cas, je me suis dit : mais ils me demandent ça, mais pourquoi ? … je ne sais pas comment dire... Il y a des choses absurdes qui ressortent. Les gens vont nous donner un argumentaire qui paraît stupide. Si on ne demande pas cet argumentaire, bon ben on ne s’en aperçoit pas, mais si on questionne... c’était bizarre.

Ruth Stégassy : Mais quel lien est-ce que vous, vous faites entre ces questions sanitaires – vacciner, traiter la maladie de telle ou telle façon -, et l’histoire de la puce électronique, qui elle n’est pas une question de santé, mais plus une question de contrôle ?

Babette Védoit : Hé oui, justement. C’est là que je me suis dit qu’on m’oblige à faire plein de choses. Pourquoi veut-on me faire faire ça ? Qu’est-ce que je gagne là-dedans ? Je perds ma liberté, ça c’est sûr. Mais je n’ai rien en échange. Et j’en avais marre qu’on me dise ce que j’avais à faire. J’ai déjà suffisamment à réfléchir pour faire ce que j’ai à faire, sans qu’on me rajoute des contraintes qui me paraissent stupides, avec toujours la menace de faire sauter nos primes qui nous permettent de vivre. Et là je me dis : si demain ils demandent de peindre les bêtes en bleu, ou sinon on nous fait sauter nos primes, on va se retrouver avec des animaux bleus partout. Ça devient absurde.

Ruth Stégassy : C’est présenté souvent comme, justement, un allègement du travail, quelque chose qui vous permet d’avoir la tête plus libre, de gérer vos vaches plus tranquillement...

Babette Védoit : Moi, m’occuper de mes vaches tranquillement, c’est quand je suis avec elles, qu’il n y a pas de bruit : par exemple, leur donner à manger sans qu’il y ait le tracteur qui fonctionne. Par contre, tout ce qui est plus ordinateur – c’est comme ça que je le ressens, c’est pas vraiment réfléchi -, ça me porte souci à la limite. Pour moi, ce n’est pas un allègement, au contraire ; ça me prend la tête. Bien sûr, il restera toujours un peu de métier avec les bêtes, il ne faut pas non plus dire n’importe quoi. Mais si on me dit qu’il faut après regarder ce que ça fait, aller rentrer des choses dans l’ordinateur.. pfff, enfin moi ça me fatigue avant de commencer !

Ruth Stégassy : Gérard Pages ?

Gérard Pages : La puce électronique, ce n’est pas seulement une nouvelle façon. Parce qu’il y en a eu d’autres : au début on tatouait l’oreille, après on a eu les pendentifs, etc. ce n’est pas la façon la plus infalsifiable : on peut falsifier très facilement des puces. Donc ça ne correspond pas à une volonté de maîtrise totale, en tout cas dans le sens où ça serait infalsifiable. Le plus infalsifiable que l’on connaisse, c’est le tatouage : c’est simple à faire, ce n’est pas très douloureux dans l’oreille d’une brebis, par exemple. Mais ça ne peut pas se lire, c’est pas facile, il faut souvent une lampe de poche pour mettre dans l’oreille, pour lire à contre-jour, etc.

Donc le but, c’est de faire rentrer vraiment l’animal dans un processus informatique. Un processus informatique, c’est quoi ? C’est un programme, avec des scénarios. Et un scénario, évidemment, il y a plusieurs branches, mais elles sont déjà décidées. C’est-à-dire qu’il y a tout un tas de choses qui sont déjà posées, ça va être ceci, ceci ou cela.

Ruth Stégassy : C’est ce que vous appelez la modélisation ?

Gérard Pages : C’est ça oui, tout cela est modélisé. Et c’est la porte ouverte à une informatisation générale. Ce qui va se passer très rapidement, c’est qu’en temps réel, au niveau de l’Etat, et au niveau de tous les Etats européens qui ont choisi le puçage, on saura exactement le nombre de bêtes qu’il y a, et où elles sont. Et donc à ce moment-là, évidemment, on peut beaucoup plus contrôler.

Mais ce n’est pas le seul problème du contrôle. C’est de rendre les animaux comme un flux. Dans les textes techniques, on parle de minerai viande.

Ruth Stégassy : minerai ?!

Gérard Pages : de minerai viande ! D’abord, ce n’est pas de la viande, les animaux. C’est vrai que des fois, on les tue. Mais moi je n’élève pas de la viande, j’élève des animaux. C’est beaucoup plus compliqué que ça. Et on considère les animaux comme quelque chose dans lequel on peut puiser, pour un besoin : l’alimentation. Voilà, c’est pour ça qu’on y donne ce nom. Il y a l’idée de flux, de continuité et tout ça, pour le gérer. C’est comme un flux de personnes dans le métro, comme un inventaire permanent. La puce, qui va être appliquée à beaucoup d’objets, peut-être même la totalité des objets qu’on va acheter, ça va permettre de gérer des inventaires vachement serrés : on aura ce que l’on appelle un flux tendu. Il n’y aura plus du tout de stocks, parce que les stocks coûtent très cher. Et on saura en permanence où et quoi, et où ça va. Et donc qui achète, et donc le suivi pour la publicité, pour tout ça quoi !

Ruth Stégassy : Sébastien Delpeche ?

Sébastien Delpeche : C’est la même puce, c’est la puce RFID, c’est la même qui est utilisée pour le passe Navigo dans le métro parisien. C’est la même qui sera appliquée sur les oreilles des animaux, et qui sera lue à l’abattoir quand on amènera les lots d’agneaux.

Ruth Stégassy : Justement, j’étais en train de me dire que vous parlez de l’introduction des animaux dans cette logique informatique, mais ce sont les animaux et leurs éleveurs, qui rentrent dans ce flux. Gérard Pages ?

Gérard Pages : Oui. C’est ça qui nous est insupportable, c’est exactement ça. Du coup, de plus en plus de gestes sont prévus, et sont normalisés. Tous les espaces où il s’agit d’apprécier la situation, et de choisir en fonction de nos compétences, de la manière, de l’état dans lequel on s’est levé le matin aussi, et de la manière dont on réagit ; et bien tous ces endroits-là, petit à petit, s’amenuisent. Du coup, on en est rendu à avoir de plus en plus des gestes automatiques, c’est-à-dire des gestes sur lesquels il n’y a pas de valeur d’appréciation. Et la boucle est bouclée : on exige de nous des comportements de machines.

Ruth Stégassy : Sébastien Delpeche ?

Sébastien Delpeche : Je suis récemment tombé sur un travail de chercheurs de l’INRA, en collaboration avec des bergers et des éleveurs, qui modélisent la garde d’un troupeau de brebis en montagne. Ils essayent de modéliser et de définir le comportement de la brebis, le comportement du berger, dans telle ou telle situation, jusque dans ses moindres détails. Quand on lit cela – moi je l’ai lu - c’est effrayant, parce que tout est vrai, puisqu’évidemment ce sont des bergers qui ont vidé leur sac. Tout est vrai, tout est rentré dans la boîte. Maintenant, il ne reste plus qu’une chose, c’est de l’appliquer. Cela veut dire que notre travail devient contrôlable, encore une fois, dans ses moindres détails.

 intermède musical -

Ruth Stégassy : Célia Izoard, vous n’êtes pas éleveuse. Et néanmoins, vous faites partie de ce collectif ?

Célia Izoard : Oui. Moi, je suis très inquiète de l’avancée de l’électronique, le fait qu’on multiplie les objets électroniques dans ce monde, en général. Et les puces électroniques sur les bêtes, cela en fait partie. C’est un aspect de ça, et un aspect particulièrement obscène, puisque quand on voit les troupeaux ici, et quand on imagine le fait de les équiper d’un microordinateur, on voit tout de suite qu’il y a deux mondes qui s’affrontent dans cet équipement.

Ruth Stégassy : Qu’est-ce qui vous inquiète, dans l’électronique ?

Célia Izoard : Je pense qu’il y a un gros problème écologique. C’est paradoxal, parce qu’on n’a jamais autant parlé de réduire la pollution, de faire attention à ce qu’on met dans l’environnement, etc. Mais bizarrement, quand il s’agit d’électronique, et donc d’informatique, d’internet, tous ces systèmes qui sont reliés, puisque les puces électroniques, c’est quand même pour lier les objets du monde avec des systèmes informatiques, de les mettre en ligne, etc. Mais quand il s’agit d’internet, quand il s’agit de ce matériel-là, on oublie la matérialité. On oublie que c’est des choses, qu’il y a des matériaux derrière, qu’il y a toute une chaîne de production. On a tendance à s’imaginer quelque chose de virtuel. Et il y a aussi la manière dont on vit : comment on travaille, comment on fait les choses, comment on communique. Moi il me semble que le fait de multiplier les appareils de gestion, c’est-à-dire de multiplier les systèmes qui vont produire des chiffres sur le réel, qui vont ensuite manipuler ces chiffres grâce à l’informatique, c’est une tentative désespérée pour essayer de contrôler un système qui est réellement incontrôlable. Puisque là, on s’aperçoit bien que le capitalisme mondialisé, industriel, c’est intenable ; que l’on est dans une situation que personne ne peut réellement maîtriser, que c’est totalement ingérable. Et au moment où c’est ingérable, on va multiplier des systèmes qui vont donner l’impression aux administrateurs, aux gestionnaires, qu’ils peuvent avoir une vision panoptique, une sorte de vision instantanée à un temps T du monde tel qu’il est : par exemple du cheptel en France, tel qu’il est, à partir d’un ordinateur.

Ruth Stégassy : Le système est incontrôlable, mais les gens et les animaux sont contrôlés.

Célia Izoard : Oui. Les puces électroniques, c’est précisément ça. Il y a aussi l’idée d’essayer de rationaliser les flux de bêtes, le circuit mondial, la grosse industrie. Et on le voit bien à travers toutes les crises sanitaires qu’il y a eu. C’est quand même un des grands arguments de vente de la puce électronique, qu’en fait, c’est ingérable de faire circuler des bêtes, d’avoir des produits qui circulent de cette manière-là. C’est toujours ce paradoxe. Plus on crée de l’incontrôlable, plus on veut instituer du contrôle. Et ça ne marche pas, mais c’est comme l’anorexie : il n’y en a jamais assez, on veut toujours en mettre plus. On pense qu’on va toujours essayer de serrer la vis un peu plus.

Ruth Stégassy : Tout de même, Célia Izoard, je vous ai fait remarquer que dans ce système incontrôlable, il y avait un contrôle de plus en plus fort, qui s’exerçaient sur les humains et sur les animaux. Et d’ailleurs sur le végétal, et d’ailleurs sur les paysages, et d’ailleurs pratiquement sur tout.

Célia Izoard : Oui d’ailleurs quand on parle des puces électroniques, et de la multiplication des traceurs en général, des fichiers, on parle beaucoup de surveillance. Et c’est vrai, la surveillance est réelle ; on a les moyens de croiser toutes sortes d’informations. Et ça, c’est inédit. On n’a jamais vécu ça à ce point-là. Mais il me semble que le contrôle se situe à un autre niveau. On produit de l’enfermement ; mais c’est surtout de l’enfermement dans l’imaginaire. C’est-à-dire qu’en instaurant cette espèce de cartographie dont je parle, en essayant d’avoir une vision gestionnaire avec tous ces chiffres qui seraient censés traduire la réalité et la maîtriser, on élimine le point de vue subjectif, on élimine le point de vue de l’individu. Et l’individu ne s’autorise plus à penser, à juger, et même à agir, en dehors de ces chiffres.

 intermède musical -

Ruth Stégassy : Ce qui est terrible, il me semble, c’est que dans tout ce que vous racontez là, on entend en écho, la voix de tous ceux qui pensent et qui vont dire : et bien, quel est le problème : je n’ai rien à me reprocher ? Donc ce n’est pas grave, qu’on repère comme ça et qu’on modélise tous mes gestes. Sébastien Delpeche ?

Sébastien Delpeche : Si on s’en tient à cette histoire d’identification électronique des brebis, c’est aussi cette histoire de traçabilité. Pour moi, ça ne fait qu’accompagner le développement de l’agriculture industrielle. C’est un cache-misère. Pendant longtemps, le mot traçabilité n’était connu et utilisé que par les cadres de l’industrie. La traçabilité est née dans le secteur industriel et dans le secteur de la grande distribution, il y a longtemps, aux Etats-Unis, au début du 20ème siècle.

Ruth Stégassy : c’est-à-dire au moment où, finalement, on a dissocié les lieux de production des lieux de consommation.

Sébastien Delpeche : Voilà. Au moment où on commençait à organiser la production de masse, et la consommation de masse. Et donc pendant longtemps, ce mot n’a été qu’une histoire de cadres de l’industrie. Et il se trouve que depuis une quinzaine d’années, tout le monde en parle, tout le monde sait ce que c’est. Et en plus, tout le monde en parle de manière positive. Du coup, la traçabilité se trouve tout à coup vernie d’une éthique, qu’elle n’a jamais eu la prétention d’avoir.

Ruth Stégassy : Comme si du simple fait qu’on sait d’où vient tel morceau de viande acheté sous cellophane, on a l’assurance, la garantie, que ce morceau de viande est bon.

Sébastien Delpeche : Oui. Quand on ne maîtrise plus rien de nos conditions d’existence, ce genre de petites choses suffit à nous soulager l’esprit. On a l’impression de savoir ce qu’on mange, on a l’impression de maîtriser un peu quelque chose. Ce qui est complètement faux. Ça soulage l’esprit, mais rien de plus. Et donc, cette histoire de traçabilité = qualité, est donc vécue de manière positive. Moi je pense que le développement de la consommation responsable et de la filière bio n’est pas étrangère à ce phénomène.

Ruth Stégassy : Vous êtes d’accord avec ça, Gérard Pages ? Vous êtes l’un et l’autre éleveur en bio ; donc vous auriez contribué à ce phénomène ?

Gérard Pages : La traçabilité, c’est de savoir exactement d’où vient la viande, le produit. Donc quand la viande c’est de la merde, on est très avancé de savoir d’où elle vient. D’autant plus que ça sert aussi au moins à une autre chose : c’est quand il y a un problème, et bien on trouve très vite le responsable. Ce n’est pas pour ça que l’on va changer la façon de faire des céréales, ou d’élever des bêtes, sûrement pas. Mais on a un problème, et du coup, on a un responsable. Et du coup, tout le monde est content. On peut imaginer qu’au marché de Carmaux par exemple, dans les années 1950 ou 60 – ou peut-être un peu avant, ici l’agriculture industrielle est venue assez tard, après la guerre -, quelqu’un a amené des légumes, un monsieur qui venait tout le temps au marché : il a amené des poireaux empoisonnés, une année, à un moment donné, une récolte, le monsieur il a amené des poireaux empoisonnés, qui étaient farcis de pesticides et d’engrais. Mais sur son étal, il n’a pas mis "poireaux empoisonnés", il a mis "poireaux". Et du coup, le poireau, qui existe depuis des millénaires, a changé. Mais le nom n’a pas changé. Face à cela, la seule solution qu’ont trouvée les gens qui ont voulu continuer à faire des choses de qualité, ont pensé que pour eux, la seule manière était de se différencier. Et donc ces gens-là, ont commencé à parler de "poireaux naturels", ou ensuite de "poireaux bio". Et ils ont trouvé nécessaire – et ça c’est aussi assez indiscutable - de se faire un cahier des charges, pour se différencier puisque le monde fait que l’on désigne d’un même mot des choses différentes. Et comme on ne veut pas que ça soit tel, il faut commencer à batailler d’une manière différente. Donc ils ont fait un cahier des charges, puis des auto-contrôles. Voilà comment ça s’est passé. Voilà les choses sur lesquelles, nous, on s’est appuyés. Des tas de gens qui ont bossé là-dedans, qui nous ont nourris intellectuellement. Et voilà pourquoi nous aujourd’hui, on est incapables de faire autre chose que de l’agriculture biologique. Cependant, ce qui s’est passé, c’est que ce système a fait qu’ils ont complètement popularisé l’idée de traçabilité. C’est le principe même de leur système de défense. Et ces gens font partie aussi de tout un tas de schémas de pensée. Ces gens-là, pensent que la seule manière de s’en sortir, c’est un petit peu plus de règlement, un petit peu plus de contrôle, si peu qu’ils soient citoyens ou alternatifs. Mais on ne peut pas imaginer une société qui soit basée sur des contrôles systématiques, de plus en plus fous.

Quand nous on dit qu’on en a marre d’être contrôlés, on peut entendre : mais si vous n’avez rien à vous reprocher, pourquoi vous n’êtes pas d’accord ? Bien sûr. Mais être contrôlé systématiquement de la sorte, est-ce qu’il ne pourrait pas s’établir autre chose, qui s’appelle la confiance par exemple ? Est-ce que c’est une donnée complètement démodée ? Est-ce qu’on peut imaginer un monde qui serait sans cesse liberticide, au nom de la régulation des excès ? C’est un monde de dingues. C’est un monde dans lequel la puce a très bien sa place, sur des idées de traçabilité. Donc tant qu’on ne remettra pas en cause fondamentalement des manières de fonctionner, le fait qu’il y a un peu moins de 3% des gens qui produisent à manger pour la totalité des habitants de l’Etat français, il n’y a aucune raison. L’agriculture, elle va changer, et les relations que l’on a avec la nature vont changer, si on change tout ce qui est autour, c’est-à-dire la manière dont on est ensemble.

Ruth Stégassy : Sébastien Delpeche ?

Sébastien Delpeche : Souvent, on nous dit - quand on parle de ces histoires de société, où la plus grande partie des gens sous-traite le problème de la subsistance parmi d’autres – on nous dit : oui mais c’est une impasse ce que vous dites, à ce moment-là qu’est-ce que vous voulez ? Vous voulez que tout le monde retourne à la terre, que tout le monde retourne à la campagne ? Mais ce n’est pas possible. Le problème c’est que l’on peut très bien retourner l’impasse, et dire que ce n’est pas possible que l’ensemble de la population dans les mégapoles d’aujourd’hui mange bio. Ce n’est pas possible, ça ne le sera jamais.

Gérard Pages : Je crois aussi qu’on est dans ensemble de sous-traitance généralisée. Et souvent, on sous-traite l’alimentation à une petite partie de gens qui la font. On sous-traite l’éducation à l’Education Nationale, et on trouve ça en général très bien. On sous-traite les vieux aux maisons de retraite. On sous-traite notre solidarité à la Sécurité Sociale. On trouve toujours ça très bien. Et c’est sûrement pas plus mal. Mais le fait qu’il y ait de la sous-traitance, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des excès. On veut quelque chose avec un rendu, une qualité, et on ne veut pas s’en occuper. C’est ça, la sous-traitance. Et du coup, les gens qui le font, et bien forcément ils le font à leur sauce, si personne ne regarde. Pour revenir sur la traçabilité et les labels, c’est une forme de sous-traitance. La confiance, on ne l’a pas, parce que les gens à qui on achète les produits sont loin, des fois inconnus. Et donc, on sous-traite la confiance à une marque, à un label.

Sébastien Delpeche : De toute manière, il y a de « l’élec » en qualité constante, et en volume tant que l’on veut. Il y a de l’eau, pareil ; l’entreprise s’appelle un robinet. Et il y a la viande d’un côté... Tout ça arrive d’un coup. Du coup, on efface tout, on efface tout l’humain qu’il y a derrière, la difficulté d’avoir de l’électricité, d’où elle provient, avec des façons de la fabriquer qui ne sont peut-être pas extraordinaires. Des façons de produire et d’obtenir de la viande qui ne sont pas tout à fait extraordinaires. Et comme ça, on peut s’occuper soit disant de la vraie vie.

Ruth Stégassy : ça a été considéré comme une libération, de pouvoir s’extraire des nécessités de la terre.

Michaela di Carlo : Bien sûr. Parce que la terre est très contraignante, on ne peut pas s’éloigner. S’il faut se faire à manger, s’il faut avoir un potager, il faut être là, il faut l’arroser. Sauf que, de manière très paradoxale, quand on travaille dans le travail salarié, on ne peut pas s’éloigner non plus, parce qu’on peut avoir deux semaines de vacances. Et ce qui était vraiment une libération là-dedans, c’est que les gens travaillaient la terre dans des conditions pitoyables. La terre n’appartenait pas à tout le monde. Et c’est bien ça qui était la question pour les époques passées : les pauvres travaillaient pour quelqu’un d’autre, et ils devaient faire le double du travail. C’était aussi l’inégalité. Après bien sûr, il y a les aléas de la nature. Mais ça, on voit bien qu’on ne s’en débarrasse pas, ou peut-être on en crée des nouveaux mais les aléas on ne peut pas les effacer. Et ce rêve-là finalement il est mortifère, de penser qu’on pourra mettre de côté tout ça.

Ruth Stégassy : Aurélien Berlan ?

Aurélien Berlan : A propos de la libération, oui, les progrès du monde moderne ont donné le sentiment de se libérer d’un certain nombre de contraintes, de servitudes, de nécessités. Mais toute la question, c’est de savoir ce que c’est que la liberté, qu’est-ce qui est important pour nous dans la liberté. Dès qu’on s’interroge un petit peu sur cette question, on voit que la liberté, il y a toujours eu d’un côté les contraintes de la nature, et de l’autre côté les contraintes sociales. Etre astreint à un travail, avec la possibilité de la maladie et de la mort, et la douleur de l’enfantement pour la femme ; ce sont les trois malédictions divines qui pèsent sur l’humanité. Et puis il y avait les contraintes sociales : la domination, etc. Et aujourd’hui, on se trouve dans une situation particulière, où la liberté qu’on invoque pour le fameux monde libre dans lequel on vit, c’est quoi ? C’est la liberté des malédictions des villes. En fin de compte, la liberté, il faudrait appeler cela la délivrance. On ne s’est pas libéré de quoi que ce soit, on s’est délivré du poids de la condition humaine. Mais on ne s’est pas émancipé des contraintes sociales. La domination sociale est toujours présente, peut-être qu’elle n’a jamais été aussi forte qu’avant, dans les états actuels. Mais on a été délivré en effet de la pénibilité du travail physique, d’une partie des douleurs de l’enfantement. Et on a réussi à éloigner la mort. Il y a le rêve de réussir à la dépasser chez les trans-humanistes, voilà.

Nous on pense que la liberté qui vaut le coup d’être défendue, c’est la liberté sociale, la liberté à l’égard de la domination, des contraintes sociales. C’est là-dessus qu’on peut agir. Et pour se libérer de ce point de vue-là, ça implique de réévaluer le poids des nécessités naturelles ; et de se dire qu’en fait, c’est une chance. Moi, depuis que j’ai cessé le travail dans lequel j’étais auparavant, où j’étais fonctionnaire en ville, je découvre la vie à la campagne, avec les bêtes, le fait de planter et de récolter de quoi manger ; j’ai vécu ça comme une libération, mais infiniment plus intéressante que celle de pouvoir aller tous les jours au supermarché, avec mon argent de fonctionnaire.

Ruth Stégassy : Voilà, le collectif « Faut pas pucer » a écrit plusieurs textes que vous retrouverez sur notre site. Il y a également un appel à créer des discussions en tout lieu et sur toutes ces questions relatives au puçage électronique.

 

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Le puçage électronique des troupeaux - le 06/08/2013 à 19:21 - Denis

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Le puçage électronique des troupeaux - le 29/05/2013 à 08:25 - Manon

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